Américain tué par une tribu isolée : “Je suis triste pour ce garçon mais j’aurais été beaucoup plus triste s’il avait réussi sa mission”

Si la tribu des Sentinelles dans les îles Andaman au large de l’Inde “n’était pas hostile”, “on ne parlerait plus d’elle depuis longtemps”, a expliqué jeudi 22 novembre sur franceinfo l’ethnologue Patrick Bernard, de la fondation Anako, qui œuvre à la constitution et à la sauvegarde des mémoires audiovisuelles des derniers peuples et cultures autochtones.Un Américain est mort sous les flèches de ce peuple ancestral coupé du monde qui vit sur une île interdite d’accès par les autorités indiennes. Le jeune homme tentait d’entrer en contact avec eux pour leur présenter Dieu. “Une imbécillité sans nom”, dénonce Patrick Bernard.franceinfo : Qui sont ces Sentinelles ?Patrick Bernard : Les Sentinelles c’est un peuple de chasseurs-cueilleurs. Les premiers navigateurs espagnols les ont qualifiés de ‘négritos’ puisqu’ils ont la peau noire couleur d’ébène. Ce sont les descendants des plus anciens habitants du Sud-Est asiatique. On estime leur origine entre 60 et 100 000 ans c’est-à-dire à une période à peu près similaire à l’origine des premiers aborigènes d’Australie, des premières grandes migrations qui sont parties d’Afrique à la découverte du monde il y a 100 000 ans. Et ces peuples-là sont restés complètement isolés sur leur île.Vous avez approché l’île, que voit-on ?On peut apercevoir les Sentinelles quand on longe l’île à une portée de flèche – 200 mètres au grand maximum. Il y a deux périodes dans l’année. Une période pendant laquelle ces chasseurs-cueilleurs vivent à l’intérieur de la forêt. Ils recherchent du miel, chassent et cueillent des racines comestibles et une autre période de l’année pendant laquelle ils longent les berges et ils récoltent des mollusques et des animaux de bord de mer à l’occasion des marées. Mais s’ils voient un bateau qui vient de l’extérieur, ils essaient de l’intimider, décochent leurs flèches sur ce bateau et ils fuient.Quelle conscience de notre monde ont-ils ?Ils ont une conscience de notre monde assez limitée dans la mesure où leurs îles ont toujours été longées par des bateaux qui n’avaient pas forcément de bonnes intentions à leur égard. Souvent les navigateurs, qui étaient des pirates, des pêcheurs ou des contrebandiers, lorsqu’ils voyaient ces hommes sur les berges tiraient dessus. Donc pour eux, tout ce qui vient de l’océan représente un danger pour leur famille pour leurs enfants. Donc ils ont cultivé cette agressivité qui n’est pas une agressivité naturelle chez les chasseurs-cueilleurs. Par nature ils ne sont absolument pas des peuples agressifs ni des peuples de guerriers.Vouloir aller sur leur territoire comme l’a voulu ce jeune Américain qui s’est fait tuer, c’est dangereux ?C’est surtout dangereux pour les Sentinelles. C’est malheureux à dire, je suis triste pour ce garçon mais j’aurais été beaucoup plus triste s’il avait réussi sa mission. On sait très bien que le jour où une petite tribu comme les Sentinelles entre en contact avec le monde extérieur, c’est une fin non seulement culturelle, non seulement au niveau de leur mode de vie mais c’est une fin physique. Les Jarawas par exemple qui ont été contactés entre 2000 et 2003, font face à des épidémies de tuberculose voire de sida puisqu’il y a eu des viols de jeunes filles commis par des militaires et des policiers indiens. On sait très bien que sur des populations aussi petites, les maladies apportées par le monde extérieur sont extrêmement nocives.Vouloir leur présenter Dieu ou Jésus est donc une très mauvaise idée ?C’est une folie sans nom et j’ajouterais au risque d’être un peu vulgaire, c’est une imbécillité totale. Ce sont des peuples qui vivent en phase avec la nature qui sont animistes, qui ont une spiritualité extrêmement forte, bien plus forte que la nôtre, qui respectent les esprits de l’eau du ciel de la forêt et les esprits des animaux. Ce sont des gens extrêmement croyants, contrairement à ce qu’on veut bien dire quand on est porteur d’idées sectaires, quelles qu’elles soient d’ailleurs.Comment explique-t-on que les Sentinelles soient restées à l’écart du monde ?Les îles Andaman ont été pendant longtemps une colonie pénitentiaire britannique, donc les Britanniques n’ont pas trop cherché à coloniser les îles. Au moment de la prise d’indépendance de l’Inde, ces îles ont été massivement colonisées par les Indiens. Quand j’y suis allé pour la première fois dans les années 90, il y avait 150 000 colons indiens. Quand j’y suis retourné dans les années 2010-2015 il y avait déjà 500 000 colons indiens, donc les habitants des îles Andaman ont subi une très forte pression du fait de la déforestation et de la présence de ces colons. L’île de Sentinelle du Nord est une île très éloignée, toute petite, donc elle ne présente pas d’intérêt. Elle est trop petite pour être intéressante au niveau de l’exploitation forestière, trop petite pour y amener des touristes. En plus, la mer autour de cette île est extrêmement dangereuse. Il y a des vagues extrêmement violentes qui interdisent aux embarcations légères d’accoster. Ce qui a, je pense, protégé les habitants. Et puis, bien sûr, il y a leur hostilité, qui leur a permis de survivre jusqu’à aujourd’hui, parce que s’ils n’avaient pas été hostiles on ne parlerait plus d’eux depuis longtemps.