Glamour, moderne, engagée, l’épouse du président camerounais, extrêmement populaire dans son pays, inaugure une autre manière d’aborder la politique en Afrique. Dans ses bureaux, Chantal Biya reçoit aussi bien ses homologues que des stars d’Hollywood.
Palais de l’Unité, Yaoundé, vendredi 21 mai. En cette fin d’après-midi équatoriale, dans le salon oriental du palais présidentiel, la première dame du Cameroun goûte le bonheur du devoir accompli. Dîners officiels, défilé militaire, inaugurations… Auprès de ses invités de marque, venus du monde entier pour fêter le cinquantenaire de l’Indépendance de son pays, elle a fait preuve d’un sens de l’hospitalité digne de sa fonction.
Pendant trois jours, aux côtés de son mari, Paul Biya, Chantal a accueilli le secrétaire général de l’Onu Ban Ki-mooun, plaisanté avec
ou
, honoré les femmes des chefs d’Etat africains présentes… Confortablement installée dans les canapés moelleux de son salon, elle savoure maintenant ses premiers instants de détente après le grand rush. Au dehors, le parc du palais présidentiel, avec ses pelouses à l’anglaise et ses allées de palmiers royaux, offre un inattendu mélange de classicisme et d’exotisme.
A l’intérieur, enfilades de pièces et escaliers de marbre témoignent de la magnificence d’un bâtiment construit par l’architecte franco-tunisien Olivier-Clément Cacoub, le concepteur du Palais des Festivals, à Cannes. «Hier, à la fin du dîner de clôture, j’ai retiré mes chaussures, plaisante Chantal Biya. J’étais restée toute la journée debout. Je n’en pouvais plus.» Le ton est donné! Malgré les exigences du protocole, la première dame privilégie la détente et le naturel. Elle joue avec Mathieu, son neveu de deux ans, qui multiplie les galipettes sur le sofa. Tailleur fuchsia, escarpins à talons hauts assortis, sa tenue est à son image: baroque et énergique.
Elue première dame la mieux habillée d’Afrique, madame Biya en impose. «Elle porte aussi bien des tailleurs Chanel ou Dior que des boubous, commente l’une de ses amies. Mais elle n’aime rien tant que revêtir ses propres créations.» L’année dernière, lors de la visite de Benoît XVI, l’élégante arborait un ensemble en dentelle florale pastel. Elle avait aussi souhaité que son chapeau en forme de tiare soit confectionné dans un tissu Liberty et orné d’une frise aux motifs de la croix. Le tact est toujours une affaire de détails.
Tel est le style de cette femme de trentre-neuf ans, dont le parcours étonne autant qu’il fascine. Seconde épouse du président Paul Biya, avec qui elle a eu deux enfants, Chantal possède une personnalité à faire enrager ses rivales. Héritière d’une tradition où les femmes jouent encore trop souvent le rôle de simple faire-valoir, elle affiche une liberté inattendue de la part d’une dignitaire arrivée au cœur du pouvoir alors qu’elle n’avait que dix-neuf ans et dont les adversaires pensaient qu’elle ne serait qu’une potiche aisément manipulable.
Certes, Mme Biya estime que son rôle de première dame consiste d’abord à assister son mari, à le mettre à l’aise, à alléger ses soucis, de manière à ce qu’il puisse consacrer ses forces à sa tâche. Chaque jour, tôt le matin, elle réveille ses enfants, les prépare pour l’école et choisit les habits de son époux. Elle interroge, faussement naïve: «Comme dans tous les couples, n’est-ce pas?» Mais cette maîtresse de maison sait aussi briser les codes. Elle a la réputation d’être timide… C’est son audace qui captive: en 2008, lors de la Journée de la femme, elle est descendue à l’improviste de la tribune officielle afin de défiler avec les militantes d’une association féministe.
Elle lâche: «A ma place, le plus difficile est de rester spontanée.» Dans un pays où la pauvreté reste un terrible fléau, «Chantou» a la passion du social. Contre l’analphabétisme, elle a fait de l’éducation l’une de ses priorités. Face à la pandémie de sida qui décime l’Afrique, elle fut la première à réagir. Depuis plus de dix ans, à la tête de la fondation Chantal Biya, elle multiplie les campagnes de sensibilisation, visite les léproseries comme les hôpitaux, bâtit des centres de recherche high-tech, s’entoure des meilleurs, à l’instar du prix Nobel de médecine, Luc Montagnier : «Nous travaillons ensemble en pleine confiance, confirme le découvreur du virus du VIH. Sa détermination à aider son peuple est extraordinaire.» N’en déplaise à ceux qui s’interrogent sur sa chevelure, madame Biya n’a pas la grosse tête.
«Au Grand Journal de Canal+, on m’a surnommée «la lionne du Cameroun», sourit-elle. La comparaison n’est pas sans pertinence. Mais ne traduit pas l’essentiel: dans un monde où l’image dicte sa loi, l’animal politique a compris qu’un zeste d’excentricité reste le meilleur passeport pour être de mèche avec l’époque. En avril 2009, en visite à Los Angeles, où l’association US Doctor of Africa l’avait nommée présidente d’honneur, elle a pu vérifier la force de ce commandement médiatique. Dans l’univers impitoyable du glamour, elle a fait mieux que de la figuration. Elle a crée le buzz. «Paris Hilton est venue me voir (photo), explique-t-elle. Elle voulait absolument que nous posions ensemble.» Carla Bruni aussi? «Non. Je l’ai rencontrée à l’Onu. Je lui ai dit qu’il fallait qu’elle soit forte.» Parole de première dame.
Laurent Del
Jeudi 24 juin 2010